Avoir un enfant est un bouleversement majeur dans une vie : vous voilà entièrement responsable d’un petit être qui demande beaucoup, mais vraiment beaucoup, de temps et d’attention. C’est un nouvel amour dans votre vie, mais d’un point de vue strictement pratique, c’est aussi beaucoup de contraintes !

Finie la liberté de travailler dès qu’on a l’inspiration, de s’absorber dans son travail, d’oublier de faire le dîner pour continuer à rédiger tel chapitre… Dorénavant, il faut faire face à une montagne de responsabilités ménagères liées au bébé. Quelle place va-t-il rester pour la thèse ?

Si vous faites une thèse et que vous avez des enfants, vous êtes confrontée à des difficultés de plusieurs ordres : sociales, émotionnelles, pratiques. Il faut apprendre à les surmonter pour donner à votre thèse la place qui lui revient.

Un défi psychologique

Je veux revenir ici brièvement sur des difficultés que connaissent en particulier les jeunes mères.

L’écueil de la culpabilité

Je ne suis pas psychologue et je ne peux pas toujours expliquer le ressort de certains phénomènes, mais je note par exemple que la maternité s’accompagne assez souvent d’un sentiment de culpabilité bien ancré.  On se sent coupable envers tout et tout le monde : envers son directeur, parce que la thèse ralentit ; envers son conjoint, parce qu’on est beaucoup moins disponible pour lui ; mais surtout envers son enfant, dès qu’on prend du temps pour soi.

Les jeunes mères veulent parfois tout prendre en charge, elles pensent qu’il est de leur devoir de tout assumer tout le temps et que la moindre défaillance est une grave faute.

Comme la thèse est un projet personnel chronophage, que l’on mène par passion, par curiosité, elle commence à apparaître comme une sorte de caprice que l’on ne devrait pas se permettre. C’est comme si la thèse volait du temps que l’on devrait plutôt donner à son foyer. Elle est donc peu à peu reléguée au dernier plan : on la travaille quand on peut, c’est-à-dire quand un peu de temps se libère (ce qui est rare). Forcément, on stagne, et finalement on finit par se sentir coupable aussi de ne pas avancer assez vite sur sa thèse !

Il ne faut pas s’enferrer dans ce piège. Prenez une décision et assumez-la : vous pouvez arrêter la thèse, ou la continuer. Si vous la continuez, c’est que c’est important pour vous, alors décidez une bonne fois pour toutes de vous donner les moyens de la faire et sans aucune culpabilité. Sachez que votre enfant n’a pas besoin d’une mère qui a tout « sacrifié » pour lui (ce qui est affreusement étouffant) : il a plutôt besoin d’une mère heureuse et épanouie dans ses projets. Ce n’est donc pas une catastrophe en soi si vous faites garder votre bébé ou que vous mettez vos enfants au centre de loisirs pendant les vacances. Acceptez le temps donné à la thèse comme un temps légitime. De même, quand vous êtes avec votre enfant, soyez vraiment présente et heureuse d’y être (et ce sera d’ailleurs plus facile si vous avez votre vie personnelle par ailleurs).

Quoi de mieux qu’un exemple pour illustrer mon propos ? Voici l’interview d’une maman doctorante qui s’assume et s’organise :

 

Douter de ses capacités

Deuxième écueil fréquent chez les jeunes mères : le manque de confiance, le doute. Avec un ou des enfants, on a vraiment l’impression d’être moins efficace que les autres, d’avancer moins vite. On est moins disponible pour les déplacements, les séminaires. C’est surtout vrai quand les enfants sont petits et prennent donc beaucoup d’énergie. Je n’ai pas de solution miracle mais je vous invite au réalisme : oui, vous allez être un peu plus lente que les femmes sans enfants, et que les hommes, malheureusement. Mais sachez que ce handicap peut être réduit par une meilleure organisation et une meilleure efficacité dans le travail : ne lésinez pas sur l’apprentissage d’une bonne méthodologie. Et surtout, ne vous percevez pas vous-même comme définitivement disqualifiée : restez dans la course, au fil des mois et des années, peu à peu vous allez retrouver votre capacité de travail et comme vous aurez appris à être efficace, vous serez meilleure que les autres !

Quoiqu’il en soit, finir sa thèse lentement vaut mieux que ne pas la finir. Acceptez votre rythme, respectez les différents temps de votre vie, et pas à pas vous parviendrez au bout.

Je finis par un mot pour les pères : vous aussi avez vos propres difficultés, liées aux attentes de réussite sociale qui pèsent fortement sur les hommes et ne sont pas toujours faciles à vivre. Beaucoup de jeunes chercheurs qui deviennent pères souhaitent passer plus de temps avec leurs enfants ; je ne peux que vous encourager à oser le faire, oser dire non à un déplacement non indispensable, à une réunion tardive, oser prendre quelques semaines de congé parental même si la présentation de la thèse doit être un peu retardée.

Un défi pratique

Donner la juste place à sa thèse, pour qu’elle ne soit pas la dernière roue du carrosse, cela passe par un meilleur équilibre émotionnel et une meilleure motivation, comme nous venons de le dire ; mais aussi par une bonne organisation de votre temps de travail. Quand on a peu de temps, il faut savoir l’utiliser.

Gérer un temps de travail soumis à interruptions

Quand on a des enfants, on est souvent interrompu dans son travail (par exemple, parce qu’il faut impérativement s’arrêter à 17h pour aller les chercher à l’école ou à la garderie) et les plages de travail sont plus courtes. Cette situation n’est pas idéale, mais vous devez faire avec ! N’oubliez pas, quand vous interrompez une tâche, de noter très précisément sur la même page ou dans un carnet ce par quoi vous devez reprendre votre travail ; par exemple, si vous êtes en train d’écrire, et que vous savez, à ce moment précis, comment poursuivre, mais que vous devez vous interrompre, alors écrivez rapidement vos idées : « continuer à parler de Untel qui avait commenté la théorie de x, en prenant pour exemple le cas… etc ».  Cela vous permettra de reprendre plus facilement par la suite.

D’ailleurs, un petit carnet peut vous suivre partout, pour que vous puissiez noter vos idées quand vous n’êtes pas à votre bureau. Pensez à l’organiser par thématiques, pour vous y retrouver. Noter vos idées peut vous permettre de vous en détacher pour être plus présente à ce que vous faites.

Compartimentez : dédiez un temps à chaque dimension de votre vie

N’attendez pas que du temps se libère pour votre thèse. Il ne va pas se libérer tout seul. C’est vous qui allez le chercher. Apprenez à déléguer certaines tâches (à votre conjoint, vos parents) et veillez à trouver au plus vite un mode de garde efficace pour votre enfant si ce n’est pas encore le cas (pas facile, je sais, mais c’est une condition sine qua none).

Chaque dimension de votre vie doit avoir sa propre place, tout ne doit pas être mélangé. Quand vous travaillez à la thèse, vous devez être présente pour la thèse ; pour cela, sortez par exemple de votre lieu de vie et allez en bibliothèque ; isolez-vous. De même, les enfants auront un vrai temps dédié, rien qu’à eux, où il ne faut pas chercher à travailler par bribes en s’échappant de temps à autre. Enfin, n’oubliez pas de vous ménager un vrai temps de repos et de loisirs, qui peut être court, mais sanctuarisé. Faites un peu de sport, si vous aimez ça ; marchez ; lisez des romans…

Ce n’est pas votre intellect tout seul, détaché du reste, qui finira votre thèse : c’est vous tout entière en tant que personne qui devez être assez forte pour porter ce travail : c’est pourquoi prendre soin de soi, de toutes les dimensions de sa vie, est indispensable pour terminer la thèse, pour tenir sur la durée.

Soyez régulière/ier

Pour finir sa thèse, il y a un maître mot : travailler régulièrement. L’instauration d’une routine rend les choses plus faciles. Par exemple, vous savez que tous les jeudis après-midi et samedis matin (au hasard), vous vous consacrez à votre thèse, quoiqu’il advienne. Vous n’êtes là pour personne.

De même, je vous invite à tenir un agenda avec des objectifs : il est utile de s’organiser en apprenant à poser des objectifs hebdomadaires et quotidiens qui soient réalistes. Il existe de nombreuses méthodes et outils d’organisation : Kan Ban, journal Doers Wave, logiciel Trello…

La clé d’une bonne organisation et de savoir lister, certes, mais surtout prioriser ce que vous avez à faire, car on n’arrive jamais à tout faire : il faut donc savoir mettre certaines choses en haut de la liste. Une thèse est un objectif important, mais jamais « urgent » au quotidien, c’est pourquoi les tâches de la thèse passent généralement après le reste. C’est à vous de rééquilibrer ceci à travers l’établissement de quelques priorités dans votre agenda.

Fuyez les longues parenthèses où vous ne travaillez pas sur votre thèse. Elles distendent le lien et sapent la motivation. Il peut certes vous arriver d’être dans le creux de la vague, de ne pas savoir comment avancer, d’être submergée par les imprévus… Donnez-vous alors des tâches simples en rapport avec vos capacités du moment : relire un texte, annoter un article… C’est peu, mais c’est beaucoup mieux que rien, car vous maintenez ainsi votre thèse vivante et en mouvement.

N’hésitez pas à laisser votre témoignage dans les commentaires, il peut être très précieux pour d’autres doctorant(e)s.

A bientôt !