Introduction
Cet article est une transcription de la vidéo Youtube La thèse avec un contrat CIFRE : entretien avec Manon Balty, disponible sur la chaine Emilie Doré, dans laquelle Manon Balty, secrétaire de l’association des doctorants et des doctorantes CIFRE en sciences humaines et sociales (SHS), vient nous parler des avantages et inconvénients d’une thèse en contrat CIFRE.
L’interview originale s’est déroulée en visio le septembre 2022, entre Emilie Doré et Manon Balty.
La CIFRE est une modalité de financement des recherches doctorales où le doctorant effectue sa thèse en collaboration avec une entreprise partenaire.
[Emilie Doré]
Bonjour, bonjour à tous et à toutes, je suis Émilie Doré, formatrice auprès des doctorants et des jeunes chercheurs et aujourd’hui j’accueille Manon Balty, pour nous parler de la thèse en contrat CIFRE.
Manon, donc tu es doctorante en psychologie sociale et psychologie du travail au laboratoire Perseus, à l’université de Lorraine, mais tu es aussi secrétaire de l’AD CIFRE SHS, l’association des doctorants et des doctorantes CIFRE en SHS : sciences humaines et sociales.
Manon, est-ce que tu peux nous expliquer qu’est-ce que c’est CIFRE, qu’est-ce que ça veut dire, qu’est-ce que c’est que ce contrat ?
[Manon Balty]
Bonjour à toutes et à tous, et bonjour Émilie, merci pour cet échange. Le contrat CIFRE, c’est une modalité de financement du doctorat, qui permet à un doctorant de faire ses travaux de recherche au sein d’une entreprise.
CIFRE, qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une convention industrielle de recherche, tout simplement, c’est un doctorant qui a un contrat de travail en CDD ou en CDI avec une entreprise, qui dépose un projet de recherche à l’ANRT, l’ANRT c’est l’Association Nationale des Recherches et de la Technologie, qui permet du coup d’avoir ce contrat particulier qui allie donc un doctorant, une entreprise et aussi un laboratoire, parce que c’est une relation tripartite entre l’université, une entreprise et un doctorant.
[Emilie Doré]
D’accord, et effectivement le sigle c’est convention industrielle, on entend le mot industriel, on se dit comment ça peut concerner les sciences humaines et sociales ? Du coup comment vont s’insérer les sciences humaines et sociales là-dedans ?
[Manon Balty]
Alors c’est vrai qu’initialement la CIFRE a été créée pour les sciences dites dures, et il n’y avait aucune ou très peu peut-être de sciences sociales en entreprise ou dans des collectivités etc. Mais ça commence tout doucement à se faire de plus en plus, parce que toutes les structures qui peuvent accueillir des doctorants se rendent compte que les sciences humaines et sociales ont aussi des choses à apporter qui sont très très intéressantes. Ça peut être du management, ça peut être sur un projet, comment on va développer, comment on va inciter plutôt les personnes à venir se réunir sur tel type de projet, des citoyens à venir travailler justement ensemble sur des projets collectifs etc.
Les sciences humaines et sociales balaient beaucoup beaucoup de sujets qui peuvent concerner des entreprises bien plus qu’on ne le pense, et c’est vrai que ça commence à se déployer de plus en plus, mais il y a encore des choses à démontrer justement par rapport aux sciences humaines et sociales.
[Emilie Doré]
Est-ce que ça peut être un autre organisme qu’une entreprise qui finance ?
[Manon Balty]
Oui, il peut y avoir des collectivités territoriales, il y a aussi un nouveau contrat, et alors là je ne suis pas non plus experte de ce sujet-là, mais c’est ce qu’on appelle les COFRA, donc c’est la même chose qu’une CIFRE, mais c’est ce qui permet aux grandes administrations publiques d’accueillir des doctorants. Après la CIFRE peut concerner des associations, tout type de structures qui ne seraient pas un établissement de recherche, et du coup pas non plus une grande administration publique, où là c’est plutôt les COFRA.
[Emilie Doré]
D’accord, donc ça peut aussi être le milieu associatif. Quand le financeur est l’entreprise, le doctorant est salarié de l’entreprise, on peut dire ça ?
[Manon Balty]
Oui, le doctorant est salarié de l’entreprise, et l’entreprise reçoit une subvention de la part de l’ANRT, puisque c’est l’ANRT qui permet d’avoir ce contrat-là. Elle reçoit une subvention de mémoire de 14 000 euros par an pour pouvoir accueillir le doctorant, qui est donc salarié de l’entreprise. Le doctorant, lui, il a une obligation d’être inscrit dans une école doctorale, donc rattaché à l’université et à un laboratoire, et il y a aussi un contrat de collaboration entre l’université et l’entreprise qui accueille le doctorant, qui permet de négocier toutes les conditions de réalisation des travaux de recherche, que ce soit des propriétés intellectuelles de la thèse, comment on va publier les résultats, le temps que le doctorant va passer dans l’entreprise, mais aussi dans le laboratoire.
Ce sont toutes ces choses-là qui sont négociées entre les deux structures qui encadrent le doctorant.
[Emilie Doré]
Alors pour revenir à toi et à ton expérience, peut-être que les personnes qui nous regardent se demandent comment on obtient un contrat CIFRE ? Par exemple, est-ce qu’on peut l’obtenir en cours de doctorat ? Pour se faire une idée plus précise, peut-être peut-on partir de ton exemple, comment tu l’as obtenu ?
Comment tu as trouvé ton financeur ? Comment ça s’est passé ?
[Manon Balty]
Si je prends mon exemple, ce n’était pas très compliqué. Tout simplement, on m’en avait parlé déjà pendant mes études, lorsque je faisais mon master.
Et moi, je me disais non, je ne ferai pas de doctorat. Ou alors si j’en fais un, effectivement, c’est en entreprise parce que j’avais envie tout simplement d’aller sur le terrain. À un moment donné, quand on fait des études, on a envie aussi de rentrer dans le monde professionnel.
Et c’est vrai que j’avais aussi besoin, si je faisais de la recherche un jour, de donner tout de suite du sens pratique à ce que je ferais. Et donc, j’ai fait mes études. Ensuite, j’ai travaillé un petit peu et je me suis dit pourquoi pas un jour la thèse, mais en contrat CIFRE.
Et puis, j’ai de la chance parce que j’ai une amie qui a fait aussi son doctorat à l’université de Lorraine et qui m’a dit Manon, il y a une possibilité de contrat CIFRE. Est-ce que ça t’intéresse ? Et moi, je me suis dit, c’est parti.
C’est l’occasion que j’attendais.
[Emilie Doré]
Donc, c’est le financeur qui a publié une offre. Et ça se passe comme ça la plupart du temps ?
[Manon Balty]
Alors, ça dépend. Il peut y avoir plusieurs modalités. Pour le coup, le financeur a monté le projet avec mon directeur de thèse et c’est de là que c’est venu.
Effectivement, ça se passe souvent comme ça. Les financeurs, les entreprises ont des projets et ils vont déposer leurs offres sur le site de l’AMRT et ils vont faire leurs recherches avec le laboratoire avec lequel ils veulent travailler. Des fois, ils n’ont pas du tout de laboratoire. Ils ont juste le projet.
Et donc, ça veut dire qu’ils sont déjà potentiellement informés aussi sur ce que c’est qu’un doctorant, ce que c’est que la thèse, ce que c’est que le doctorat. Parfois, la démarche vient aussi du doctorant, en tout cas, du futur doctorant qui recherche un mode de financement, qui a un projet et qui va soit profiter de son stage de fin d’études pour essayer d’initier peut-être la démarche et de dire voilà ce que je peux vous proposer après ce stage.
Ou alors, qui est déjà soit dans un contrat peut-être lié à la recherche ou alors pas du tout, qui est vraiment professionnel et qui se dit justement, j’ai envie de monter un projet et là, je vais aller chercher une entreprise qui a envie peut-être de faire ça avec moi. La seule difficulté dans ces cas-là, de toute façon de manière générale, c’est qu’il faut faire attention aux critères de l’AMRT. Et de mémoire, il me semble qu’il ne faut pas être dans l’entreprise depuis plus de neuf mois avant le début de la CIFRE.
Donc, c’est vrai que si par exemple, on a travaillé pendant 3-4 ans dans la même entreprise, a priori, l’AMRT refuserait le contrat CIFRE parce qu’il y a déjà l’expérience avec cette entreprise là.
[Emilie Doré]
D’accord, donc c’est plutôt pour découvrir un nouveau milieu, ce n’est pas pour prolonger son travail par un doctorat en fait.
[Manon Balty]
C’est ça. En tout cas, dans une nouvelle entreprise, ça permet de prolonger, de donner une autre orientation à sa carrière, mais dans une autre entreprise que celle qu’on a précédemment connue. Enfin voilà, c’est pour être dans d’autres conditions.
C’est vrai que c’est quelque chose auquel il faut être vigilant pour les futurs doctorants parce qu’on peut se faire avoir assez rapidement. Moi, je sais que j’avais cette pression aussi puisque mon entreprise avait fait un contrat, un CDD en fait, avant d’obtenir ma CIFRE pour me permettre de préparer mon projet à présenter à l’AMRT pour obtenir donc le financement.
[Emilie Doré]
J’imagine que ça dépend si c’est le doctorant qui propose le thème ou si c’est le financeur qui cherche des doctorants, mais est-ce qu’on a quand même une liberté de choix de son sujet de thèse et de sa problématique de thèse ou est-ce que c’est quand même plus encadré ? Est-ce qu’on est un peu contraints dans ces sujets ?
[Manon Balty]
On l’est forcément parce que déjà il n’y a pas seulement deux personnes, le directeur de thèse et le doctorant. Là on a le directeur de thèse, le doctorant et l’entreprise qui encadrent, enfin qui permettent cette CIFRE. Donc on est forcément un peu contraints en tout cas, plutôt dans le sens de la négociation. Que le thème vienne du doctorant ou de l’entreprise, il faut forcément que ça réponde à un besoin de recherche de l’entreprise puisque on est salarié de l’entreprise donc c’est qu’il y a un besoin.
Mais il faut aussi que pour le doctorant ce soit quelque chose qui l’intéresse, d’autant plus si l’entreprise n’est peut-être pas experte ou alors qu’elle ne connaît pas du tout la recherche. C’est intéressant que le doctorant puisse apporter aussi ses idées, ce sur quoi il a envie de travailler et puisse aussi dire : je me sentirais peut-être pas à l’aise avec ce travail là, est-ce que ça vous intéresserait pas plus de travailler là dessus ? Ou alors essayer de contourner les choses.
Donc c’est une vraie négociation à faire pour qu’en fait finalement le doctorant, le directeur de thèse et l’entreprise trouvent chacun son compte dans l’histoire et que ça se passe le mieux possible pour chacun ; parce que c’est une collaboration à trois entités. Et c’est difficile pour le doctorant de dire : je fais la thèse que j’ai envie de faire comme si on était en contrat doctoral où finalement il n’y a pas d’attente derrière le contrat doctoral dans le sens où à part la publication de la thèse et la soutenance de la thèse, il n’y a personne qui attend quelque chose ; alors que là dans le cadre d’une CIFRE, bien souvent on attend déjà tout simplement un rapport de fin, on en attend déjà bien souvent en cours de projet, etc. On attend parfois le développement de certains outils.
[Emilie Doré]
Donc il y a des attentes derrière en fait. C’est comme si la thèse devait produire un résultat, on peut dire ça ?
[Manon Balty]
Oui, en tout cas il y a des attentes, pas forcément toujours de résultats parce que dans la recherche il faut aussi le faire comprendre aux entreprises, dans la recherche il y a de nombreux résultats, mais il y a des choses qui ne donnent rien, mais effectivement une production de livrables en tout cas pour faire un état de ce qui a été fait et pourquoi on l’a fait, etc. Mais un livrable qui soit aussi accessible à un public ou en tout cas à des personnes qui ne sont pas chercheuses, qui ne sont pas du milieu là et qui n’ont pas forcément le même vocabulaire, etc.
[Emilie Doré]
Donc ce qu’on va appeler un livrable, c’est quelque chose que tu peux donner à l’entreprise en fait, une sorte de résultat intermédiaire, c’est ça tout au long de ta thèse, ça peut prendre quelle forme ?
[Manon Balty]
J’ai envie de dire toutes les formes, ça dépend des attendus et du projet et de la thèse. Ça peut être tout simplement une présentation lors d’un comité de pilotage, ça peut être effectivement un rapport écrit, ça peut être pour certains la production d’un outil ou un logiciel, c’est selon vraiment ce sur quoi travaille le doctorant et ce sur quoi l’entreprise ou la structure a des attendus.
[Emilie Doré]
Donc il faut vraiment en fait que le doctorant s’adapte et comprenne le langage de l’entreprise à certains moments, typiquement au moment de donner les livrables, c’est le terme, pour que l’entreprise comprenne comment il avance. Le doctorant s’adapte à l’entreprise, mais l’entreprise doit s’adapter au doctorant, donc le doctorant, est-ce qu’il doit faire un travail de pédagogie, je ne sais pas si le mot est adapté, d’explication par rapport à l’entreprise et comment il peut s’y prendre ?
[Manon Balty]
Parfois c’est nécessaire, ça dépend de l’expérience de l’entreprise vis-à-vis du monde de la recherche, du doctorat, est-ce qu’ils ont un service de recherche et développement, est-ce qu’ils ont déjà eux-mêmes un docteur peut-être dans leurs effectifs…Pour moi c’était le cas, j’étais peut-être la première ou une des premières doctorantes de ma structure, et c’est vrai qu’il y a un vrai travail de pédagogie, d’ouverture, de médiation scientifique sur les travaux, mais aussi de manière plus large déjà sur ce qu’est un doctorat, ce que ça implique.
Les collègues parfois pensent que je suis stagiaire, qui disent « tu vas à l’école », » tu donnes cours », non c’est très différent, il y a vraiment tout un travail à faire et à expliquer ce que c’est qu’un doctorant, ce que c’est qu’un docteur aussi, ce qu’on développe comme compétences, ce qu’on est capable de faire, jusqu’où on peut aller, le temps qu’on doit prendre aussi pour parfois lire, qui paraît être un temps de non productivité, qui ne sert à rien, on nous voit là dans un bureau à attendre que le temps passe, mais en fait on lit, on essaie d’aller chercher des informations, et c’est vrai que ça paraît être en décalage par rapport aux attendus peut-être, ou en tout cas à ce qu’on a l’habitude de voir en entreprise. Donc quand c’est une entreprise qui n’a pas l’habitude, c’est vrai qu’il y a un vrai travail du doctorant, d’adaptation et de compréhension surtout des besoins de l’entreprise, des attentes qu’ils ont par rapport justement à ce qu’on va leur produire, à ce qu’ils attendent du projet sur lequel on travaille, enfin il y a vraiment une écoute à avoir et cette négociation entre voilà ce qu’on attend de moi depuis le monde universitaire : publication d’articles, des choses très scientifiques, des statistiques très poussées, et puis dans l’entreprise ; par exemple pour moi en psychologie, le mot motivation c’est un mot très technique, il peut y avoir plein de choses derrière, et pour eux c’est un mot de tous les jours ; si moi je donne le mot là, il faut que je sache à quel moment je dois m’adapter, comment je vais m’adapter, et jusqu’où je vais aller pousser le détail pour l’entreprise, par rapport à ce que j’aurais fait dans un article scientifique.
[Emilie Doré]
Oui il y a un vrai travail d’ajustement parce que le temps de la recherche n’est pas le temps de l’entreprise, la logique de la recherche n’est pas la logique de l’entreprise, donc ça demande vraiment une très grande adaptabilité.
[Manon Balty]
Complètement, et c’est ce qui est le plus difficile je pense aussi pour le doctorat en contrat CIFRE, c’est de s’adapter en permanence entre deux milieux très différents, de faire le lien entre les deux, d’essayer de faire comprendre les attentes des uns et des autres de chaque côté, avec ses propres contraintes aussi face à sa thèse ; parce qu’il ne faut pas l’oublier, des fois il y a des travaux qu’il faut faire mais qui n’ont rien à voir avec la thèse, ou en tout cas qui n’ont pas de lien direct avec la thèse.
Faire une petite recherche sur, je ne sais pas, un x ou y, qui ne rentreront jamais dans les travaux de thèse parce qu’il n’y a pas de lien scientifique direct, parce que ce n’était pas le projet initial, mais en même temps on est là et on a les compétences, on est les seuls qui peuvent, et bien c’est du temps qu’on prend en plus, mais qu’on ne prend pas sur la thèse, donc c’est vraiment ce travail perpétuel d’adaptation, de se dire quelle identité je prends, comment je m’adapte et quel discours je vais avoir, quelle posture je prends, comment je dois écrire, c’est le plus difficile, mais c’est ce qui est aussi le plus enrichissant, je trouve.
[Emilie Doré]
Et oui, parce que j’allais dire, on en ressort avec des compétences encore plus riches. Déjà, la thèse en elle-même développe beaucoup de compétences, parfois les doctorants n’en ont pas conscience, mais la thèse permet de développer des compétences incroyables, et là, en contrat CIFRE, ça ajoute peut-être des compétences en termes de communication, de médiation, tu as dit le mot, de vulgarisation aussi, et parfois même de mise en pratique, on peut dire, éventuellement, du savoir qui a été produit. Et je voulais savoir, par rapport à l’association dont tu es secrétaire, AD CIFRE, comment vous soutenez les doctorants ? Est-ce que, justement, vous pouvez les conseiller dans ce travail-là d’adaptabilité, ou bien vous les aider pour trouver leur partenaire ?
[Manon Balty]
Alors, l’objectif de l’association, c’est surtout de se réunir, de faire de l’entraide. On ne se place pas comme étant conseiller, parce que, tout simplement, nous-mêmes, on est doctorant. Donc, en fait, ce qu’on fait, c’est de s’entraider chacun les uns les autres avec les bonnes pratiques, avec les choses qu’on a faites, qui ont fonctionné, celles qui ont moins bien fonctionné.
Par exemple : « moi aussi, j’ai vécu la même chose que toi ». « Ok, est-ce que quelqu’un, justement, a vécu la même chose que moi, ou est-ce que je suis seule ? » » Est-ce que ça, c’est normal, ou est-ce que ça l’est pas ? »
Parce que c’est vrai que quand on est en contrat CIFRE, de manière générale, même hors SHS, enfin j’imagine, en tout cas en SHS c’est le cas, on est souvent assez seul face à notre situation, parce qu’on est aussi moins nombreux, parce que parfois, les laboratoires ne connaissent pas ou très peu. Moi, j’ai la chance d’être dans un laboratoire qui connaît quand même plutôt bien le fonctionnement, qui s’implique aussi avec l’entreprise, mais quand on est seul face à tout ça, on ne sait pas ce qui est normal, ce qui l’est pas, les demandes de l’entreprise, est-ce qu’elles rentrent vraiment dans ce que je suis censée faire ? Ou bien le directeur de thèse me demande des choses qui correspondent peut-être beaucoup plus à un parcours, on va dire, de doctorant en contrat doctoral, qui a peut-être plus le temps de faire certaines choses.
C’est vraiment l’idée d’avoir une communauté de personnes qui se ressemblent et qui se disent « waouh, bah je suis pas tout seul à vivre ça », et on peut s’entraider et trouver des solutions ensemble.
[Emilie Doré]
D’accord, donc c’est l’échange, le partage, le dialogue.
[Manon Balty]
En tout cas, c’était ce pourquoi l’association a été créée ; elle a été créée en 2014, justement suite à un colloque qui a été fait de jeunes chercheurs, il me semble, et plusieurs doctorants en contrat CIFRE se sont réunis, se sont dit « ah, mais toi aussi tu vis ça, mais en fait il faudrait créer quelque chose, parce que si on vit chacun seul les choses, c’est forcément plus dur que si on se réunit et qu’on les vit ensemble, on aura quand même plus de chances de mieux vivre ça. »
[Emilie Doré]
Je mets la description, les références de l’association en description de cette vidéo. Et pour revenir à ton expérience à toi, donc vraiment ton expérience subjective, est-ce qu’on pourrait parler pour toi des avantages et des inconvénients que tu as trouvés à cette formule ? Alors on va peut-être commencer par les avantages.
Qu’est-ce que ça a apporté à ton expérience de la thèse ?
[Manon Balty]
J’y suis encore, donc je n’ai pas beaucoup de recul encore sur tout ça, mais le seul mot qui me vient là tout de suite c’est que c’est génial ! C’est pas du tout ce à quoi je m’attendais initialement, parce que je pense que mine de rien on a chacun un peu une vision du doctorat de quelqu’un qui est seul dans un bureau, qui est un peu triste, qui n’a pas trop d’argent, qui s’ennuie. C’est l’image que j’avais malgré le fait que je me disais pourquoi pas un jour, parce que j’avais envie de faire cet exercice de curiosité intellectuelle qu’est le doctorat.
Mais finalement j’ai découvert que c’était tellement plus que ce que j’imaginais. C’est une vraie expérience professionnelle et une expérience de vie qui m’a fait progresser. J’ai fait des choses que je n’aurais jamais osées faire.
Là je suis en train de monter par exemple la fête de la science, je ne me serais jamais dit que j’allais le faire un jour. J’ai communiqué sur mes travaux. Alors évidemment ça semble très classique pour un doctorat, mais c’est des choses que si on ne se lance pas dans le doctorat, on ne sait pas qu’on est peut-être capable de le faire.
Et le fait d’être en CIFRE, je trouve que ça apporte, pour moi ça a beaucoup de sens. Comme je disais, j’aurais pas fait de doctorat sans la CIFRE, parce que j’ai besoin d’avoir un sens pratique à ce que je fais. Et moi j’adore en fait faire dialoguer mon terrain avec mes recherches.
Ce qui est difficile justement aussi parfois, c’est qu’on me dit, il faut que tu sois plus plus académique, il faut que tu ailles chercher dans la théorie. Oui mais mon terrain il me parle aussi beaucoup, et c’est d’une richesse incroyable. Parfois il y a des personnes, je leur fais compléter des questionnaires de recherche, qui me disent, pourquoi vous me posez ces questions là ? Ah mais vous n’avez pas pensé à cette situation là ? Et ça semble anodin, mais en fait si j’étais pas régulièrement sur mon terrain, si je ne connaissais pas aussi bien, je n’aurais pas cette même clairvoyance sur les situations des personnes que j’étudie. Et ça m’apporte vraiment quelque chose de plus.
Et au-delà de ça, c’est tous les projets que je peux mener qui sont en lien vraiment avec le terrain. C’est toutes les compétences professionnelles, le fait de garder ce pied sur le terrain, pour moi c’était indispensable et c’est un vrai atout aussi je pense pour la poursuite de ma carrière. Puisque je pense que le doctorat, même si on commence à en parler de plus en plus, reste quand même assez flou pour beaucoup d’employeurs du privé en tout cas.
Et le fait d’avoir été en entreprise, c’est un peu bizarre, mais ils pensent que comme la personne est restée dans l’entreprise, il y a quand même plus de compétences. Ce n’est pas un moment pour eux où ils se disent que la personne allait rester dans son bureau à rien faire, à s’ennuyer, à juste écrire et lire. Non, c’est une expérience très vivante et ça l’est d’autant plus je trouve avec la CIFRE, parce que ça multiplie aussi les partenaires, ça multiplie les personnes qu’on rencontre et comme je dis, ça fait vivre son terrain et ça c’est incroyable.
[Emilie Doré]
En fait, en CIFRE, on souffre moins de solitude, on peut dire ça ? On souffre moins de l’isolement du doctorat ?
[Manon Balty]
C’est un isolement qui est très différent. Il y est quand même parce que, c’est ce que je dis très souvent, on est un alien. On n’est pas tout à fait à sa place en entreprise, on n’est pas tout à fait à sa place au laboratoire et comme tous les doctorants, on est seul face à sa thèse.
En fait, on est toujours un petit peu seul parce qu’on ne se voit pas les mêmes problématiques. Parfois, on a les mêmes que les autres doctorants, mais on n’a pas les mêmes contraintes par rapport à nos thèses. On n’a pas un acteur supplémentaire qui est notre employeur tout simplement.
Et puis, quand on est en entreprise, ça fait encore rire mes collègues quand je dis je vais au laboratoire, ils disent mais qu’est-ce qu’elle fait ? Parce que déjà, ils ne se le représentent pas forcément.
[Emilie Doré]
Déjà, le mot laboratoire, c’est vrai qu’en science humaine et sociale, ça fait toujours étrange.
[Manon Balty]
Déjà, ils disent : mais qu’est-ce que c’est qu’un laboratoire, qu’est-ce qu’il y a dans le laboratoire ? Eh bien, il y a des bureaux déjà, mais il y a aussi plein de matériel, même en sciences humaines et sociales.
Si on dit : oui, demain, je vais au laboratoire. Ok, tu n’es pas là demain. Et puis, ça fait que on ne vit pas aussi certaines choses de la même façon que les collègues parce qu’on n’est pas tout à fait un salarié comme les autres, et on n’est pas tout à fait un doctorant comme les autres.
Donc, on vit une espèce d’isolement, mais plus de vécu. Pas tant, je trouve, personnellement, dans le lien social parce que je pense que j’ai beaucoup de liens dans le laboratoire comme en entreprise, mais plus dans le vécu professionnel où en fait, on n’a pas grand monde avec qui discuter réellement de ce qu’on vit au quotidien, des enjeux qui sont les nôtres. Et donc, je reviens à l’association.
Et là, on s’y retrouve et on se dit enfin, il y a une communauté. Mais c’est vrai que sinon, il y a cet isolement là, simplement.
[Emilie Doré]
Oui, c’est une sorte de positionnement hybride. Et finalement, c’est aussi ce qui va faire naître la singularité de votre regard, de votre rapport à ce que vous vivez et ce que vous voyez. Personne d’autre, finalement, ne peut le voir.
[Manon Balty]
Oui, complètement. C’est ce qui enrichit la CIFRE, en fait. C’est une expérience vraiment très unique et que moi, je trouve fabuleuse, tout simplement.
[Emilie Doré]
Tu as prononcé le mot contrainte. Donc, il y a des contraintes spécifiques à cette formule.
Est-ce que tu peux en parler ? Je pensais effectivement, par exemple, est-ce que les échéances sont plus difficiles pour un doctorant en contrat de CIFRE, par exemple, ou est-ce qu’il a des préconisations, un encadrement plus strict ? Comment ça se passe ?
[Manon Balty]
Il y a des contraintes déjà administratives, puisque en plus de l’inspection à l’école doctorale, en plus du comité de suivi individuel, il y a bien souvent des réunions de suivi entre l’entreprise, le laboratoire et nous-mêmes, doctorants. Donc là, ça, c’est des choses à organiser en plus, qui sont simplement des choses administratives de suivi, puisque ça fait partie d’un contrat de collaboration. Et il y a aussi, tous les ans, un rapport à remettre à l’Association Nationale de la recherche et des Technologies pour attester de l’avancée des travaux.
Donc ça, ça ne semble pas grand-chose, mais c’est une vraie contrainte mine de rien. C’est chronophage. Ça fait doublon sur certains rapports qu’on peut faire.
Moi, par exemple, j’ai mon comité de suivi au mois de juin, à peu près, comme tout le monde, et mon rapport à la ANRT doit tomber au mois de fin octobre, début novembre. Donc, en fait, à quelques mois d’écart, je réécris quasiment la même chose, mais pour deux organismes différents, et ça me demande d’aller chercher des signatures et des uns et des autres. De la paperasse.
Voilà, c’est une vraie contrainte qui existe et dont il faut avoir conscience avant de commencer. Après, c’est une contrainte surtout en termes d’organisation. Elle l’est déjà, de manière générale, dans le doctorat. Mais là, d’autant plus, parce qu’il faut se séparer entre le laboratoire, entre l’entreprise, entre un projet qui est un projet de travail, etc. Et puis, il y a la réunion, justement, avec le projet, et il faut que tu sois là pour alimenter, pour voir ce qu’on peut faire, etc.
Parfois, on l’a en contrat doctoral parce qu’on est agrégé sur un projet, mais parfois, on ne l’a pas du tout. Et donc, ça demande vraiment une organisation, je trouve, personnellement, assez strictes où il faut faire attention au délai justement et à bien les anticiper. Je sais que je suis très très organisée, que j’essaie de me dire deux semaines avant le rendu, ‘ça c’est mon délai de rendu à moi’ pour être sûre d’avoir ces deux semaines au cas où justement le directeur de thèse n’a pas eu le temps de relire ou autre.
Mais c’est plein de petites choses comme ça qui sont finalement contraignantes parce que si on n’est pas organisé, on croule vite sous le travail. Et puis la contrainte comme je l’ai dit de ne pas parler le même langage toujours avec l’entreprise, de ne pas avoir les mêmes temporalités aussi comme tu l’as dit.
L’entreprise a des temporalités qui ne sont pas du tout celles de l’Université et pour exemple je me souviens qu’au début, quand je venais d’arriver, on m’a dit Manon il nous faudra des résultats rapides. En recherche c’est pas possible. Moi je débarquais, j’ai dit oui mais en fait au final je me rends compte que non ce n’est pas possible d’avoir des résultats rapides.
Mais parce que moi-même j’étais en milieu d’entreprise et que je comprenais le besoin d’aller vite. Mais en fait quand on est dedans, on se rend compte que les résultats rapides c’est pas comme ça. Il faut anticiper s’il y a besoin d’avoir des choses dans six mois et bien il faut les anticiper bien avant parce que dans six mois ce sera pas encore peut-être finalisé pour x ou y raison.
Mais c’est vrai que voilà, ce décalage, entre le langage de l’entreprise et les temporalités, qui sont différentes, fait qu’il faut s’adapter et ça c’est chronophage aussi et du coup ça demande de l’organisation. C’est vraiment, je trouve, tout un processus qui fait que ça amène plein de contraintes et que, si on est pas organisé suffisamment bien, ça peut vite déborder et être extrêmement compliqué.
[Emilie Doré]
Qu’est-ce qui se passe si on a pas fini sa recherche à la fin du contrat CIFRE ?
[Manon Balty]
Alors, en SHS j’ai envie de dire c’est pas très grave. En sciences dures, souvent les thèses sont quand même plutôt réalisés en 3 ans mais en sciences humaines, c’est vrai que généralement ça se fait en 4/5 ans les thèses, donc en soi la seule chose que ça fait a la fin du contrat, on n’a juste plus de contrat de travail, en tout cas en CIFRE.
[Emilie Doré]
On est au chômage.
[Manon Balty]
Voila.
[Emilie Doré]
Mais on peut continuer sa recherche et soutenir plus tard.
[Manon Balty]
Voila. Ca n’empêche pas du tout la continuité des travaux si nécessaire. Ca empêchera juste l’accès au terrain, si en tous cas certaines recherches n’ont pas pu aboutir, puisque si le terrain était dans le lieu de la CIFRE, ça complique un petit peu les choses.
[Emilie Doré]
D’accord.
Je te remercie pour ton enthousiasme et ce que je retiens, c’est tes propres termes, à savoir que la CIFRE c’est formidable pour les personnes qui sont proches du terrain en fait, qui aiment communiquer et qui aiment parler de leur travail.
Si vous voulez plus d’informations, encore une fois, référez vous à l’association AD CIFRE, et je te remercie infiniment Manon, d’avoir accepté de répondre à ces questions
Conclusion
Nous avons abordé dans cette vidéo quelques points d’intérêts des thèses CIFRE qui peuvent vous aider à faire votre choix.
Si vous désirez en savoir plus vous pouvez vous rendre sur le site web l’AD CIFRE SHS, sur la page officielle traitant de la CIFRE ou encore sur le site de l’ARNT, Association Nationale Recherche Technologie.
J’espère que la vidéo vous a plu, n’hésitez pas à réagir et poser vos questions en commentaires.
0 commentaires