Ça y est, le moment est arrivé… Vous vous mettez à la rédaction ! Une montagne se dresse devant vous : quelques centaines de pages à écrire, au cours desquelles vous allez devoir tisser votre argument de manière claire et documentée. Cela fait un peu peur, il faut avouer ! Et cette peur peut vous faire perdre beaucoup de temps. Voici un petit florilège de conseils pratiques et méthodologiques pour s’y mettre pour de bon et avec moins d’appréhension.

ordiDécoupez la tâche

On ne gravit pas une montagne en un jour mais en planifiant des étapes. C’est un conseil d’une grande banalité, mais je commence tout de même par le mentionner car il est indispensable.  Un bon découpage de la tâche devrait vous prémunir contre la sensation d’être englouti par l’ampleur du travail. Il y a plusieurs niveaux de découpage, d’ailleurs : tout d’abord, le découpage global de la thèse (ou du mémoire) en parties et chapitres. Avoir un plan de thèse est indispensable pour commencer à rédiger ; faire un plan, c’est tout simplement mettre de l’ordre dans ses idées. Certains parmi vous auront besoin d’apaiser leur incertitude en établissant un plan vraiment détaillé qui leur permettra de savoir où ils vont. D’autres auront besoin d’une plus grande marge de liberté dans la rédaction : vouloir fixer trop de détails les briderait et les bloquerait. Un plan assez général, peu détaillé, leur suffira alors. Mais que ce soit en détail ou pas, vous devez quand même avoir une idée de ce que vous allez traiter et dans quel ordre. Si vous souhaitez en savoir plus sur le plan de thèse, pensez à lire cet article.

C’est aussi au quotidien que vous devez découper votre travail : donnez-vous des objectifs à court terme. Le sociologue Howard Becker raconte que pendant sa thèse il écrivait toujours deux pages par jour, sans exception. C’était sa tâche quotidienne. S’il avait fini ses deux pages à 9 heures du matin, il s’accordait le reste de la journée. Mais écrire les deux pages pouvait aussi le mener jusqu’au soir. Ce « secret » lui a permis de finir de rédiger sans souffrance inutile. Si une telle formule ne vous convient pas, alors inventez-en une à votre goût, mais l’essentiel est de vous en tenir à une discipline qui vous convient.

Libérez-vous des blocages

Il y a plusieurs causes de blocage et de ralentissement possible dans l’écriture de votre thèse. La procrastination et la dispersion peuvent vous faire perdre des semaines de travail ; elles trouvent leur origine dans une mauvaise organisation, et parfois aussi dans la peur : peur de se tromper, peur de montrer ses idées au grand jour.

Le perfectionnisme peut aussi vous jouer des tours. Vous êtes assis devant votre ordinateur, au calme, vous êtes motivé pour écrire mais… vous bloquez complètement. Il vous semble que ce que vous écrivez est nul, ou mal dit, toujours incomplet. Par quoi commencer ? Comment parvenir à tout dire, à être convainquant ? Comment ne pas se tromper ? Si vous êtes sujet à ce genre d’angoisses, le plus probable est que vous essayez toujours de tout bien dire, vous croyez que l’écriture est une opération qu’on réussit en une seule fois, ou presque. Or, l’écriture est un processus à plusieurs étapes. Dans les (rares) laboratoires où l’on forme à la pratique de la rédaction de documents, on enseigne les trois phases de l’écriture (vous pouvez consulter à ce sujet l’article détaillé de Maël Goarzin). Cette méthode permet de sortir des blocages.

carnet de notesLa première phase doit vous permettre de vous libérer de la pression perfectionniste qui vous obsède. Elle consiste à écrire simplement pour faire sortir les idées. Peu importe le désordre, les approximations, le style peu soigné… vous écrivez librement ce qui vous passe par la tête, en lien avec le thème que vous souhaitez traiter aujourd’hui, mais sans censure. N’ayez pas peur de vous tromper à ce stade. Il sortira de cet exercice un texte confus, sans doute mal écrit… avec quelques idées mal dégrossies mais sans doute intéressantes (puisque conçues en toute liberté !).

Quand vous en avez fini, passez à la deuxième phase : elle consiste à s’occuper de clarifier l’argument. Vous devez imaginer à présent qu’un lecteur va vous lire et vous comprendre. Ce lecteur imaginaire ne doit pas être votre directeur, mais plutôt un ami, et pas forcément très versé dans votre discipline. Comment écrire pour qu’il comprenne ? Identifiez les idées présentes dans le texte. Ont-elles des connexions entre elles ? Découlent-elles l’une de l’autre ? Maintenant restructurez le texte en prenant soin d’exposer ces idées, travaillez les transitions entre paragraphes, les connexions logiques.

Ce n’est que lors de la troisième phase que vous vous occuperez de revoir le style : éliminez les tournures passives (cela vous forcera à clarifier ce que vous dites en indiquant toujours qui est le sujet de l’action) ; enlevez le jargon si un mot simple peut faire l’affaire ; enlevez tous les mots inutiles (généralement très nombreux) ; raccourcissez les phrases.

Par exemple, ne dites pas : « La question de la flexibilité des petites unités économiques informelles, censée garantir leur plus grande compétitivité, est également battue en brèche par plusieurs facteurs : xxx » (cette phrase mal ficelée est sortie d’un article que j’ai écrit il y a quelques années !) ; mais plutôt : « Les petites entreprises informelles, plus flexibles, ne sont pas nécessairement plus compétitives. En effet, xxx ».

Entrez dans le vif du sujet

Je veux ici vous mettre en garde contre un écueil très fréquent, dont le doctorant est rarement conscient en début de rédaction. Nous appréhendons tous de commencer à exposer vraiment NOTRE argument, car c’est là que nous pouvons commencer à faire des erreurs. Nous préférons souvent tourner autour du pot, pour le dire ainsi, en évoquant longuement le contexte scientifique de notre sujet, l’origine des concepts que nous pensons utiliser, l’état des lieux bibliographique, l’historique de la question… Il est difficile de résister à cette tentation. Pourtant, il faut s’obliger à rentrer dans le vif de notre sujet sous peine de perdre beaucoup de temps ; une thèse est l’exposé d’une argumentation originale et personnelle. Donc n’attendez pas 200 pages avant de parler de votre vision des choses et de comment vous avez obtenu vos résultats. Vous rédigerez l’introduction après avoir fini la rédaction du corps du texte ; donc quand vous commencez à écrire, vous pouvez d’ores et déjà commencer par exposer et tester vos premières hypothèses et dérouler votre argument. C’est au fil de votre argumentation que vous convoquerez les auteurs et concepts nécessaires pour l’analyse.

Bref, ne vous cachez pas derrière des digressions théoriques ou des introductions à rallonge !

Concentrez-vous ! Man studying and using smart phone at home

J’imagine que vous avez connu cette situation : assis devant votre ordinateur, vous ne pouvez empêcher votre esprit de vagabonder. Vous allez faire un petit tour sur Facebook, un petit tour sur Youtube… vous finissez par être gagné par un sentiment diffus de culpabilité et d’impuissance. Qu’il est difficile de se concentrer ! Vous devez agir contre la dispersion. D’abord, accordez-vous de travailler dans des endroits « déconnectés » d’internet. Si vous allez à la bibliothèque, n’activez pas le wifi. Faites vos recherches sur internet à l’avance, avec des captures d’écran quand un site vous intéresse, de façon à ne pas avoir à revenir sur la Toile tout en écrivant (la tentation de consulter vos mails serait trop forte…). Le logiciel Evernote, par exemple, permet de faire des captures d’écran et donc de retrouver une information sans connexion.

Je vous donne aussi un truc qui vaut la peine d’être essayé : il s’agit d’une façon de préparer son cerveau à écrire, de motiver notre esprit. Fermez les yeux et imaginez que vous avez fini d’écrire ce que vous voulez écrire aujourd’hui. Vous ne pensez pas au contenu, mais seulement à votre état émotionnel alors que vous avez fini d’écrire. Soulagement, paix, satisfaction ou une certaine excitation peut-être ? Laissez venir ces émotions. Maintenant, toujours en restant sur le plan des émotions, faites revenir votre imagination en arrière dans le temps et imaginez ce que vous ressentez alors que vous êtes en train d’écrire, en pleine action : vous éprouvez peut-être une forme de tension positive de l’esprit, de l’enthousiasme, ou autre chose, qui sait. Consacrez 5 minutes à cet exercice, ouvrez les yeux, et commencez votre travail. Vous allez voir que vous serez beaucoup plus efficace que d’habitude. Cela paraît un peu étrange, mais je me permets de donner ce conseil car j’ai testé son efficacité.

Conclusion

Vous voilà parti pour quelques mois qui seront sans doute intenses et éprouvants, quelques mois de doutes, d’enthousiasme créatif, de désespoir parfois, de tension souvent. Pour finir, je veux vous rappeler qu’il est possible de prendre du plaisir à écrire, et c’est encore la meilleure motivation ! A ce propos, vous pouvez consulter ce témoignage de Caroline Muller.

Et n’oubliez pas : ce qui vous bloque est souvent la peur du jugement de l’autre, mais ce qui vous permettra de finir, c’est la passion pour votre sujet. Alors alimentez cette dernière !