C’est LE sujet qui anime les conversations entre doctorants et ne peut en laisser aucun indifférent : le directeur (ou la directrice) de thèse. Aborder ce sujet, c’est ouvrir les vannes de toute une gamme de sentiments. Citons parmi les plus fréquents :

  • la peur du jugement (« qu’est-ce que le directeur pense de ma thèse… et de moi ?! ») ;
  • l’espoir démesuré (« aimera-t-il mon travail ? Va-t-il m’aider ? ») ;
  • la colère (« mon travail ne l’intéresse pas, il ne répond même pas à mes courriers… »).

Bref, la relation entre un thésard et son directeur, ce n’est pas un long fleuve tranquille. Je ne prétendrai pas ici faire le tour de cette question, mais commencer à expliquer la source de quelques problèmes relationnels parmi les plus fréquents.

L’encadrement de thèse : un apprentissage « sur le tas »

Le master vous avait peut-être donné un aperçu de la relation avec un directeur de recherches, mais la longueur et l’intensité émotionnelle du travail de thèse sont inédites ; et en fait, rien ne vous prépare vraiment au type très particulier de relation d’apprentissage qui va se tisser avec votre directeur. Là encore, comme cela arrive souvent en doctorat, vous comprendrez sur le tas les codes du milieu et ce que l’on attend de vous, et ce processus peut apporter son lot de désenchantement.

Mais si vous, doctorant, n’êtes pas préparé à cette drôle de relation maître/élève, dites-vous que votre directeur… ne l’est pas forcément non plus !

On devient directeur de recherches après avoir passé une HDR (Habilitation à Diriger des Recherches). Or, c’est par la réalisation d’un travail de recherche que l’on atteint ce niveau ; l’obtention de l’HDR n’implique pas une formation à l’encadrement de recherches, aussi étrange que cela puisse paraître.

Cela ne signifie pas que les directeurs de recherches sont nécessairement des incompétents, heureusement ! Mais plutôt qu’ils se forment sur le tas… eux aussi ! Et que les critères d’une bonne direction de recherches ne sont pas clairement explicités. Dans son ouvrage « le doctorat, un rite de passage », Laetitia Gérard note qu’il y a trois moyens pour un enseignant-chercheur d’acquérir des compétences de direction de thèse : l’échange avec ses pairs ; l’expérience même de l’action (par laquelle on tendrait normalement à s’améliorer avec le temps !) ; et le souvenir de sa propre thèse (on tend à reproduire ce qu’on a apprécié, et à éviter les méthodes dont on a un mauvais souvenir). J’ajouterais qu’une certaine capacité d’empathie n’est jamais de trop pour mieux comprendre les besoins de ses doctorants…

La conséquence évidente de cette acquisition empirique des compétences pour encadrer une thèse est que les pratiques sont variables d’un directeur à l’autre ; et que les thésards ne savent pas trop ce qu’ils sont, ou pas, en droit d’attendre de leur principal interlocuteur.

Les attentes du doctorant et celles du directeur

Vous l’aurez compris : entre le directeur et son doctorant, le contexte est propice aux malentendus, car il y a beaucoup de non-dits. Non seulement les rôles de chacun ne sont pas toujours très clairs, mais qui plus est, les attentes des uns et des autres divergent.

Certains doctorants veulent se sentir très suivis et très encadrés, d’autres préfèrent l’autonomie ; aspirant doctorant, il convient pour vous de trouver un directeur qui correspond à votre façon de travailler (soyez attentifs au bouche à oreille au moment de choisir votre directeur). Mais au-delà de ces divergences de cas, on observe plus généralement que les doctorants ont une représentation particulière de la relation idéale avec un directeur, souvent éloignée de la réalité.

Les jeunes chercheurs attendent de leur directeur des qualités relationnelles et une attention personnalisée ; c’est un point que remarque Laetitia Gérard dans son ouvrage et que d’autres recherches ont également souligné. Surtout en début de thèse, les doctorants ne s’attendent pas à une relation neutre ou strictement professionnelle : ils veulent parfois un vrai accompagnateur, un coach ! Or, les directeurs, eux, ne veulent pas « materner » le doctorant.

Cette situation peut, si les deux parties ne s’ajustent pas au fil du temps, provoquer incompréhensions et frustrations. Les directeurs ont parfois une perception plus restrictive de leur travail que celle qu’en ont les doctorants. Ou disons plutôt que les directeurs cherchent à travailler d’abord et avant tout sur les aspects intellectuels de la thèse, ce qui amène certains d’entre eux à se cantonner à un appui scientifique et à oublier de prendre en compte la réalité matérielle, sociale, mais aussi psychologique qui est celle du doctorant ; or ce dernier attend un soutien individualisé et entoure les relations avec son directeur d’une certaine émotivité.

Un directeur peut ainsi laisser passer beaucoup de temps avant d’envoyer une appréciation laconique à son doctorant, sans se rendre compte à quel point le jeune chercheur peut interpréter cette attitude comme un signe de dédain et en être personnellement blessé et déconcerté. N’oublions pas que faire une thèse est un processus chargé d’affects et qui a des conséquences sur des aspects très divers de la vie !

NB : Si vous avez besoin d’être soutenu(e) dans votre travail de thèse, de vous sentir entouré(e) et encouragé(e), vous pouvez demander à entrer dans le Club REDAC, un service que j’ai créé spécialement pour cela. Vous pouvez cliquer sur l’image ci-contre pour en savoir plus.

Quêter l’approbation : les dérives de la relation doctorant/directeur

Les jeunes chercheurs se sentent souvent dépendants du regard du professeur, quêtant son approbation, et sont profondément découragés face à la critique. Ils perçoivent les remarques de leur directeur comme une sanction et une atteinte personnelle. Mais pour le directeur, critiquer un écrit, c’est simplement faire son travail ; en effet, pense-t-il, le doctorant doit savoir s’améliorer et apprendre à être fort face aux critiques, qu’il recevra tout au long de sa carrière.

 

Dans mon activité d’accompagnement auprès des jeunes chercheurs, j’observe souvent des cas où cette divergence de point de vue entre le directeur et le thésard est poussée à l’extrême. Certains doctorants voient, plus ou moins consciemment, une figure paternelle dans leur directeur et sont ainsi confrontés au problème de manque de confiance qui existe en eux depuis l’enfance. Ils sont obnubilés par le besoin d’obtenir l’approbation de leur directeur pour pouvoir avancer. De son côté, le directeur pense qu’il critique avec « neutralité » ( « froideur » selon le doctorant), qu’il traite son doctorant de façon toute professionnelle (ou « distante », « indifférente » selon ce dernier), et il limite son action à quelques remarques éclairantes sur l’avancement du travail, pour ne pas se laisser envahir (ce qui revient, pour le doctorant, à dire que le directeur lui répondra épisodiquement et ne le conseillera pas pour l’organisation matérielle de sa vie : bourses, déplacements etc). Dès lors le fossé d’incompréhension peut se creuser ; or il est établi que la qualité de la relation avec son directeur est un facteur important de réussite ou d’échec de la thèse.

Je n’aborde pas ici les divergences sur le fond qui peuvent également surgir : il doit en effet y avoir une certaine communauté d’intérêt et une certaine harmonie conceptuelle entre le directeur et le doctorant ; des positions scientifiques trop divergentes entre eux sont vraiment problématiques, et constituent une source permanente de conflits.

Pour introduire une note plus positive, je dois préciser que j’observe aussi souvent des cas où doctorant et directeur travaillent bien ensemble. Je ne les décris pas ici car j’ai choisi de parler des difficultés relationnelles qui peuvent survenir (ce qui fait que le tableau paraît un peu sombre…).

Évitez les malentendus !

Je voulais simplement terminer par un conseil simple : dès le début de votre thèse, parlez ! Dites à votre directeur ce que vous attendez de lui, et demandez-lui si cela est réaliste (nombre de rendez-vous par an, fréquence des relectures, appui pour des dossiers de candidature) ; demandez-lui également ce que lui attend de vous et mettez-vous d’accord. Ne vous percevez pas comme un subordonné de votre directeur : il peut devenir votre guide, certes, mais vous parlez entre adultes !

communiquez !Et vous, directeur (directrice), souvenez-vous du doctorant que vous avez été : désemparé (par moments), au milieu d’un processus de recherche qui impacte tous les aspects de sa vie, et souvent demandeur d’un fort soutien. Sans devenir son père ou sa mère, vous pouvez prendre en compte avec bienveillance les difficultés personnelles du doctorant car elles ont un impact sur le travail qu’il fournira.

Bref, veillez, si possible, à rétablir la confiance et à ne jamais couper la communication !

Avez-vous connu des difficultés avec votre directeur (ou bien, vous directeur, avec vos doctorants) ? Utilisez la zone de commentaires pour témoigner. Je vous remercie par avance de respecter l’anonymat de chacun.